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«Eduquer les générations futures à l’empathie»

Une proposition de Fabienne Brugère, philosophe

Comme au Danemark, l’empathie devrait faire en France l’objet d’un programme sérieux et continu de l’Education nationale, avec un travail sur la littérature et son pouvoir d’exemple, qui permet de mieux ressentir les émotions des autres et développer la confiance entre les individus.

Un gouvernement non représentatif, un Président ignorant les voix des citoyens, même quand il les consulte, sur fond de hausse des inégalités et de crise climatique… Nos institutions ne sont plus en mesure de répondre aux aspirations et aux colères des Français. Dix-huit personnalités du monde syndical, associatif, universitaire, des essayistes et des militants nous livrent leurs pistes pour «déverticaliser» le pouvoir. Et restaurer l’envie de démocratie.

Une crise s’ajoute à toutes les autres. Elle concerne l’assise affective des démocraties. Ces dernières échouent à faire proliférer des émotions qui les feraient perdurer et être désirables face aux logiques affinitaires et au repli sur soi. On sait combien les politiques des émotions sont déterminantes alors même que la science nous a convaincus que l’intelligence s’élabore à partir des émotions (je pense au livre d’Antonio Damasio l’Erreur de Descartes : la raison des émotions).

Les démocraties ont méprisé le rôle des émotions ; ces dernières sont perçues comme un danger plutôt que comme une chance. Ce diagnostic semble avoir été confirmé par les populistes de tous bords qui véhiculent des idées nationalistes, conservatrices, cultivent la nostalgie des régimes autoritaires, et utilisent très efficacement la peur à grande échelle. Ceci explique comment, en France, des habitants de villages sans étrangers ont une peur bleue d’une France livrée aux étrangers et dépossédée de son identité nationale. On manipule les peurs de manière adroite, elles deviennent souveraines (ce qu’affirme Martha Nussbaum dans la Monarchie de la peur) pour constituer un ciment collectif, ce dont témoignent de nombreuses dictatures dans le monde entier. Bien sûr, la peur peut craquer.

L’empathie comme une naïveté et le cynisme comme une vertu

Et elle craque quand d’autres émotions prennent le dessus : des émotions démocratiques. Les démocrates devraient se donner pour tâche urgente de cultiver l’une d’entre elles : l’empathie. Comment développer collectivement une capacité à l’empathie ? Par le biais d’un programme sérieux et continu de l’Education nationale en France. On sait que le gouvernement danois, depuis quelques années a mis en place un tel programme avec succès. Gabriel Attal, quand il était ministre de l’Education nationale, avait lancé l’idée. Mais il s’agit de pratiques à inventer collectivement avec les personnels enseignants et non enseignants, les parents et les enfants. Avec un travail sur la littérature et son pouvoir d’exemple, qui permet de mieux ressentir les émotions des autres. Qui osera le faire dans un pays où on considère l’empathie comme une naïveté et le cynisme comme une vertu ? La pratique de l’empathie installe la possibilité d’un lien de confiance – d’un commun –, d’une société ouverte. Elle permet d’aimer ceux qui nous approchent comme l’écrit Rousseau dans l’Emile. Exister, c’est à la fois sentir et penser, avec les autres.

Fabienne Brugère, née en 1964 est une philosophe française specialisée en esthétique et en philosophie de l’art, histoire de la philosophie moderne (XVIIIe siècle), philosophie morale et politique, études de philosophie anglo-américaine.

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