Pour la pédopsychiatre Anne-Laure Sutter-Dallay, si les souffrances psychiques pouvant accompagner la maternité touchent une majorité de femmes avec des antécédents psychiatriques, la période rend toutes les femmes vulnérables.
Comment se sont développées les unités mère-enfant en France ?
En France, cela fait dix ans que l’offre de soins de psychiatrie périnatale se développe : les unités mère-enfant, qui reçoivent les situations les plus graves, mais aussi l’hospitalisation de jour, les équipes mobiles… Toutes ces structures offrent une gradation des soins conjoints, à la mère en souffrance psychique, à l’enfant qui peut avoir des caractéristiques du comportement à traiter. Et permettent de soigner ce lien.
Ces dispositifs visent-ils d’abord les femmes souffrant d’un trouble psychiatrique ?
Il y a différents types de patientes accueillies dans ces unités. La majorité ont des antécédents psychiatriques, comme une maladie psychiatrique (troubles bipolaires, schizophrénie…). Mais ces antécédents peuvent aussi être légers, comme des épisodes de dépression ponctuels, lors de l’adolescence, ou un suivi psychologique à répétition, sans traitement.
Certaines femmes vont, elles, développer un trouble au moment de la grossesse ou de la naissance. Enfin, indépendamment de tout trouble, la souffrance psychique peut aussi être la conséquence d’événements extérieurs difficiles, comme la perte d’un emploi, un deuil… Toutes les marques de vulnérabilité doivent ainsi être regardées avec grande attention.
La période périnatale est une loupe pour les troubles psychiques, c’est un moment où le cerveau subit des mutations profondes, pour s’adapter et devenir extrêmement sensible à tous les signaux, notamment émotionnels, du bébé. Il devient donc plus fragile et toutes les femmes sont vulnérables à cette période.
Le suicide est devenu la première cause de mortalité maternelle, selon une étude de Santé publique France publiée en avril. Est-ce que la souffrance psychique périnatale s’est aggravée ces dernières années ?
Depuis quarante ans, les chiffres sur les dépressions périnatales ne changent pas. Il n’y a pas d’aggravation, juste une mise en lumière plus forte. Entre 10 % à 20 % de femmes en souffrent. Le suicide maternel n’est pas nouveau, mais, en France, on ne l’explorait pas avant comme cause de décès maternel.
Il intervient souvent de manière tardive, c’est-à-dire au moins quarante-deux jours après l’accouchement, plus que dans la période du post-partum précoce. Cela correspond à un moment où la femme est sortie du système de soins, ce qui pose problème. Quand on reprend les dossiers de ces femmes, on y voit souvent des vulnérabilités accumulées, pas évidentes à percevoir, qui ont pu apparaître à un moment ou à un autre de leur parcours, mais sans que la synthèse ait été faite. Et ça a explosé plus tard.
Existe-t-il encore un tabou sur les souffrances psychiques accompagnant la maternité ?
Il est beaucoup moins verrouillé qu’il y a quelques décennies. Nous avions des femmes qui venaient à l’hôpital en rasant les murs, ou n’osaient pas du tout venir. Aujourd’hui, il y a un mouvement de balancier inverse, on parle beaucoup plus de ces sujets. C’est bien que les gens se rendent compte que les troubles psychiques, la dépression, peuvent intervenir à ce moment de la vie.
Mais cela reste compliqué de penser que la pathologie mentale se déclenche avec une grossesse, cela reste assez intolérable pour beaucoup. Le fait de ne pas être heureuse, après une naissance, est toujours difficile à verbaliser dans notre société. Cela participe à ce que des femmes se tournent plutôt vers toute une gamme d’« accompagnants périnataux » qui donnent des conseils principalement fondés sur le bien-être, ce qui peut engendrer des retards d’accès aux soins.
Si le « curseur » se dérègle chez tout le monde, il y a une différence entre le baby blues et la dépression postnatale : le premier n’est pas agréable, il rend irritable, triste, il est le reflet du changement du cerveau, mais il n’est pas trop intense, et se stabilise après huit à dix jours. Cependant, quand il se poursuit, ou s’il est très envahissant, intense, il faut le prendre en considération, et demander une aide spécifique.
L’offre de soins est-elle suffisante face aux besoins ?
Il y a environ une centaine de lits aujourd’hui dans les unités mère-enfant. Certains ne sont pas encore ouverts, d’autres ferment parfois, avec les mêmes difficultés que dans le reste de l’hôpital. Il n’est pas simple de recruter un psychiatre. Mais les financements sont là, ces dernières années, plusieurs millions d’euros ont été fléchés par la direction générale de l’offre de soins vers la psychiatrie périnatale. Même s’il y a encore des zones non couvertes, un maillage national se met en place. Sur ces dix dernières années, l’offre de soins a fait un bond extraordinaire.
Si on réussit à assurer la prévention, à dépister des vulnérabilités, à adapter un traitement… une grande partie des hospitalisations peut être évitée. C’est aussi un accompagnement qui peut être nécessaire après l’accouchement, en gardant plus longtemps les femmes qui en ont besoin à la maternité, en renforçant les visites au domicile. Nous ne sommes plus confrontés aux arrivées de femmes aux urgences, dans des situations extrêmement graves, comme cela était le cas régulièrement il y a dix ans.