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Ces couples infertiles qui ont renoncé à avoir un enfant : « C’est un deuil qui ne m’empêche plus d’avancer »

Avoir un enfant était le projet de leur vie. Infertiles, ils ont suivi le parcours du combattant pendant des années : PMA, adoption, don d’ovocytes, en vain. Jusqu’au point de bascule, le choix d’un autre chemin. Et la prise de conscience qu’enfanter n’est pas la seule condition du bonheur.

« Je n’y crois plus. » Ce jour d’hiver 2019, allongée sur la table d’examen échographique, Marie (le prénom a été modifié), 40 ans, Parisienne, bascule face à l’écran noir. « Je n’ai plus d’ovocytes, je le sais. » Cinq ans qu’elle et son époux mènent « une course de fond » pour avoir un enfant. Par deux fois, ils ont perdu le bébé qu’elle portait. La dernière fécondation in vitro (FIV) n’a rien donné malgré la lourdeur du traitement injecté pour stimuler ses ovaires. Aucun ovule n’a pu être prélevé.

« Je peux presque visualiser le moment où ça a switché dans ma tête, relate-t-elle. Ce ne sont pas des choses que l’on décide, il ne suffit pas de “lâcher prise”. » Elle parle de cette prise de conscience comme d’un « petit miracle », celui-là même qu’on associe d’ordinaire à l’heureux événement. Que se passe-t-il ce jour-là, qui sans doute cheminait sous le voile de l’abnégation ? « J’ai pris conscience que j’avais pu être très heureuse sans enfant, que ce n’était pas la condition du bonheur. A partir de là, tout a été plus simple. »

En France, un couple sur quatre ayant un projet parental serait actuellement touché par des problèmes d’infertilité. Un chiffre en augmentation, bien supérieur encore dans certains cas (parmi les couples plus âgés notamment), selon le rapport remis au gouvernement en février, signé du professeur Samir H., responsable du service biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, et de Salomé BERLIOUX, autrice de La Peau des pêches (Stock, 2021), un livre témoignage sur un parcours de procréation médicalement assistée (PMA).

Dans pareille situation, on se dit un peu naïvement que la technique y remédiera. Or, le taux de naissances vivantes par tentative dans les centres français de PMA « atteint 20 % en moyenne ». In fine, « pour 25 % à 30 % des couples, quoi qu’on fasse, cela ne marchera pas », commente le professeur Hamamah, cité dans Génération infertile ?, une enquête cosignée par Estelle Dautry, Pauline Pellissier et Victor Point, parue en mars (Autrement, 272 pages, 20 euros). A cela, il convient d’ajouter les statistiques sur l’infertilité des femmes seules et des couples lesbiens.

Abandons nombreux

Les patients des centres de PMA sont-ils bien informés de ces risques ? « Normalement oui, mais c’est trop chargé émotionnellement, estime Virginie Rio, présidente et fondatrice du collectif BAMP, regroupant des personnes ayant recours à ce processus. Chacun se dit que, pour soi, ça va marcher. » Marie confirme : « Je ne voulais pas l’entendre, sinon je n’aurais pas eu le courage de continuer. »

Dans l’imaginaire collectif, « la médecine résout tout », observe Virginie Rio, qui voit débarquer des couples démunis : il suffirait de consulter et de réaliser une FIV pour avoir un bébé. Or, certaines anomalies génétiques ou pathologies, comme des ovocytes défectueux ou une endométriose sévère, complexifient le processus, voire enterrent toute chance d’avoir un enfant avec ses propres gamètes ou celles du partenaire. D’ailleurs, un couple sur quatre arrête après le premier échec de FIV, selon une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) de 2016, alors même que la Sécurité sociale en rembourse quatre, et six inséminations artificielles.

 L’impact psychologique et physique d’un parcours d’infertilité est si fort que certains abandonnent », confirme Virginie Rio, dont le collectif BAMP milite pour « un accompagnement psychocorporel » des patients.

La structure a instauré des rencontres sur Zoom en petits groupes sur le thème « Une vie sans enfants », qui attirent des personnes de toute la France. La plupart vivent leur souffrance de manière très isolée faute d’orientation des centres de PMA, d’exemples dans leur entourage et de compréhension de ce qu’ils éprouvent. Sandrine Dumont, l’animatrice bénévole de ces rencontres, qui a elle-même dû renoncer à la maternité, parle de « population invisible ». « Ils ont entre 30 et 50 ans. Certains se sont arrêtés au bout d’un an de parcours, d’autres y sont depuis douze ans. La plupart sont en couple, beaucoup disent que ça ne va plus entre eux. Il y a aussi des femmes seules car le couple a explosé », tient-elle à préciser. « Comment tu as fait toi ? », lui demande-t-on. Sa réponse : « Je me suis rappelé qui j’étais avant et ce qui me faisait vibrer. Aujourd’hui j’ai une vie normale, je ne me sens pas en dette envers l’humanité et je n’ai pas besoin de compenser. »

Avant d’en arriver là, il aura fallu du temps, beaucoup. Le combat pour avoir un enfant a d’abord pris toute la place. La PMA, comme une longue apnée : rapports sexuels programmés, prises de sang et examens médicaux non-stop, piqûres à heures fixes, prise d’hormones et de cortisone, montagnes russes entre espoir et échecs, sans compter le traumatisme des grossesses interrompues, les découvertes d’anomalies, et toutes les conséquences sur la santé mentale, physique, le travail, les activités parallèles, l’estime de soi, le couple.

« Je ne savais plus si je faisais un bébé avec mon mec ou avec mon toubib », résume Agnès, costumière, 66 ans, qui a tenté la PMA à ses débuts, dans les années 1980. « On pleure beaucoup, on se demande pourquoi ça ne marche pas, pourquoi nous. Plus le nombre de FIV augmente, plus on est à fleur de peau », constate Alexandra, 46 ans, commerçante, dix FIV tentées en sept ans.

Agnès considère que n’avoir pu être mère « a été une chance dans la vie. On a trouvé un autre chemin » : avec son conjoint, après une rupture de quelques mois qui fut salvatrice et un travail sur soi mené chacun à son rythme. « Avec nos caractères, nous ne serions peut-être pas restés ensemble », estime-t-elle, constatant le nombre de divorces parmi leurs amis devenus parents. D’autres affirment même « être heureux de ne pas faire partie des gens qui regrettent d’être parents ».

Mais les déchus de la parentalité ou de la famille rêvée ne célèbrent pas tous la providence. Loin de là. Alexandra a « tourné la page », s’est recentrée sur le travail, son mari et ses beaux-enfants, mais parle du « regret de [sa] vie ». Julie apprend à composer « avec ce vide ». Cela reste « un crève-cœur ». Au cœur de la tempête du deuil, Benoît tient grâce à « l’adrénaline de la survie » : « Je pleurerai plus tard. » Virginie s’est retrouvée, elle dit avoir accepté que « la vie est injuste », mais s’angoisse encore parfois. La Fête des mères reste un moment douloureux.

Tous, néanmoins, ont pris de la distance avec la pression sociale. Un diktat si puissant qu’Elise de La Rochebrochard et ses collègues hésitent à formuler, dans leur prochaine enquête en population générale, cet impensé : « Et vous ? Pourquoi voulez-vous des enfants ? »

Extrait d’un article du Monde du 15 octobre 2022 – Par Anaïs Coignac

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