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Monsieur le président

« Monsieur le président, l’école ne peut pas porter seule la souffrance des enfants vulnérables »

Dans une tribune au « Monde », le psychologue de l’éducation nationale Gaïd Le Corfec et 118 membres de la communauté éducative demandent au chef de l’Etat « comment les regarder en face, ces enfants que nous savons en danger et pour lesquels rien ne se passe ou si peu ».

Monsieur le président, lors du débat de l’entre-deux-tours, en avril 2022, vous avez affirmé que la protection de l’enfance serait au cœur de votre second mandat. Aujourd’hui, il y a urgence.

Urgence pour des milliers d’enfants de notre pays qui non seulement ne sont plus protégés, mais sont parfois en danger. Certains ont besoin de soins psychiques ou de structures adaptées. D’autres ont besoin d’être protégés d’un milieu familial délétère.

Pourtant, nous ne pouvons et ne voulons pas nous résigner. Alors, à l’école, nous essayons de bricoler des aides, les équipes pédagogiques font preuve d’inventivité et de souplesse, mais nous atteignons nos limites. Les enseignants sont de plus en plus en souffrance eux-mêmes devant leur impuissance à aider ces enfants qui expriment parfois violemment leur mal-être.

Nous manquons de soignants. Notre pédopsychiatrie est à bout de souffle. Protège-t-on nos enfants en France quand il faut des mois avant de pouvoir rencontrer un pédopsychiatre ou des années avant de bénéficier d’un service de soins ? Nous manquons de places pour les enfants qui ne peuvent plus rester à l’école.

Devenir un adulte épanoui

Protège-t-on nos enfants quand certains attendent plus de cinq ans une place en établissement médico-éducatif ? Peut-on parler d’inclusion quand un enfant passe plus de temps hors de la classe avec son AESH que dans la classe, car l’école devient une souffrance pour lui ? Est-ce normal que des parents doivent s’arrêter de travailler pour prendre en charge leur enfant en attendant qu’une place se libère quelque part ?

Nous manquons de familles d’accueil, de places en foyer et d’éducateurs formés. Protège-t-on nos enfants quand le manque de structures d’accueil empêche leur mise à l’abri ? Que doit-on dire à ces enfants qui se sont confiés à nous, à qui nous avons assuré que parler permettrait de les protéger ? Dites-nous comment les regarder en face, ces enfants que nous savons en danger et pour lesquels rien ne se passe, ou si peu.

La situation est grave. L’école ne peut pas porter seule la souffrance de tous ces enfants. Elle doit pouvoir travailler en partenariat avec des structures de soins et des services de protection de l’enfance dotés de moyens. Alors, nous vous demandons de tenir votre engagement. Vous avez raison, l’enfance doit être au cœur de nos préoccupations. C’est pourquoi, au-delà des textes et des lois, des moyens humains et matériels doivent être déployés.

Ces enfants doivent pouvoir trouver sur leur route des professionnels formés et des lieux de répit. Parce qu’un enfant très tôt écouté, soutenu et aidé aura plus de chances de devenir un adulte épanoui, un parent bienveillant, un citoyen responsable. Parce qu’un pays comme la France ne peut pas renoncer à donner toutes les chances à ses enfants, parce qu’ils sont de futurs adultes et que ces blessures d’enfance non soignées pourront se transformer en colère, en haine et en violence. Monsieur le président, ne nous laissez pas seuls, aidez-nous à les aider.

Premiers signataires : Gaïd Le Corfec, psychologue de l’éducation nationale, Christelle Bourrat, professeure des écoles et directrice, Mélodie Constant, coordinatrice dispositif ULIS, Sandrine Hurpin, enseignante référente MDPH, Marine Jalaber, professeure des écoles, Florence Kuntzmann, psychologue de l’éducation nationale, Lucie Levilain, professeure des écoles et directrice, Christiane Deslandes, psychologue de l’éducation nationale, Pascale Robert, enseignante spécialisée Rased, Anne Blouët-Leneveu, AESH.

Publié dans le journal « Le Monde » du 7.02.2023

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