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Violences intrafamiliales : les droits des enfants victimes renforcés

Un enfant présent lorsque des violences sont commises au sein du couple sera considéré comme une « victime » et non plus un « témoin », même s’il n’a pas été battu lui-même, selon un nouveau décret

Statut de « victime » reconnu aux enfants présents lors de violences conjugales, protection des mères qui refusent de confier leur enfant à leur ex-conjoint soupçonné d’inceste : les magistrats se voient appelés à mieux protéger les enfants exposés à des violences traumatisantes.

Un enfant présent lorsque des violences sont commises au sein du couple sera considéré comme une « victime », et non plus comme un simple « témoin », même s’il n’a pas été battu lui-même, selon un décret du Premier ministre Jean Castex, cosigné par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, paru mercredi à la veille de la Journée contre les violences faites aux femmes. L’enfant pourra ainsi être représenté dans les procédures judiciaires en tant que partie civile et ses intérêts pourront être défendus par un administrateur ad hoc, explique-t-on au ministère de la Justice.

« Ces enfants sont allés à la guerre »

Les services de police et de gendarmerie ont enregistré une hausse de 10 % des violences conjugales, qui ont concerné 159 400 personnes en 2020, selon le ministère de l’Intérieur. Un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en juin 2021 évaluait à 400 000 le nombre d’enfants vivant en 2019 dans un environnement de violences conjugales. « 80 % d’entre eux sont des témoins oculaires ou auditifs des violences. 60 % présentent des troubles post-traumatiques », explique Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, directrice du département Enfant de l’Institut de victimologie.

« Les conséquences sont psychologiques, mais aussi neurologiques : ils sécrètent plus d’hormones de stress que les autres, ils baignent dans un système de décision dictatorial, où une personne impose sa volonté vis-à-vis des autres », ajoute-t-elle. « Ces enfants sont allés à la guerre, ils vont à la guerre tous les jours », a relevé le Dr Luis Alvarez, pédopsychiatre, lors d’un colloque mercredi à l’Assemblée nationale autour d’une proposition de loi déposée jeudi par la députée LREM Marie Tavarelle-Verhaeghe. Celle-ci veut justement faire reconnaître comme victimes les enfants, « grands oubliés de la lutte contre les violences conjugales ».

Insécurité et terreur

Les difficultés de socialisation et de scolarisation, les atteintes à la vie affective, les conduites à risque sont des conséquences de l’exposition à cette violence intrafamiliale. « Ces jeunes auront également plus de risques d’être victimes à un autre moment de la vie », a observé le Dr Barbara Tisseron, responsable de l’unité médico-judiciaire du CHR d’Orléans, lors de ce colloque. « Ils vivent dans un climat de grande insécurité et de terreur. Les conséquences physiques peuvent commencer dès la période anténatale et se voient jusqu’à l’âge adulte », ajoute-t-elle.

Reconnaître l’enfant comme victime lui permettra d’avoir droit à une indemnisation aidant à prendre en charge les soins psychologiques dont il a besoin, très coûteux et souvent à la charge de la famille. Par ailleurs, le décret répond à une demande de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Dans son premier avis rendu fin octobre, elle appelait à protéger les enfants victimes de violences, notamment d’inceste, et leurs mères.

« Dans le sens de l’intérêt de l’enfant »

La Ciivise mettait en lumière le « dilemme » dans lequel se trouvent les mères dont l’enfant évoque des actes incestueux : soit elles le confient pour le week-end ou les vacances à leur père, comme le veut la justice, en le mettant en danger, soit elles résistent pour le protéger, au risque d’être poursuivies elles-mêmes, voire de perdre sa garde, pour « non-représentation d’enfant ». Le décret, qui entrera en vigueur en février 2022, demande aux magistrats, en cas de non-représentation d’enfant, de vérifier les « allégations » de violences avant de poursuivre le parent.

Le juge pourra ainsi « considérer que la mère, en ne présentant pas l’enfant, agit dans le sens de l’intérêt de l’enfant et ne commet pas d’infraction », explique-t-on à la Chancellerie. « C’est une satisfaction pour nous que nos recommandations sont suivies d’effet. La protection de l’enfant n’attend pas », a déclaré le coprésident de la Ciivise, le juge pour enfants Édouard Durand. Sans modifier la loi, le décret clarifie des imprécisions qui peuvent être mises à profit par des pères violents soucieux de garder leur emprise sur les enfants, relève-t-on à la Chancellerie.

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