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Les maisons de naissance verront leur nombre doubler

Plus de huit ans de gestation. Autorisées dans un cadre expérimental depuis une loi de 2013, les maisons de naissance devraient bientôt voir leur nombre plus que doubler en France.

Alors qu’il n’en existait jusqu’alors que huit pour tout le territoire, outre-mer compris, une douzaine d’établissements supplémentaires pourraient être inaugurées dans les deux années à venir, en vertu d’un décret publié le 27 novembre au Journal officielAccolées à des maternités, ces structures, uniquement gérées par des sages-femmes, ont vocation à permettre des accouchements dits physiologiques, soit les plus naturels possible, et à proposer un accompagnement global, de la préparation à l’accouchement (sans péridurale), jusqu’au suivi postpartum, pris en charge par la Sécurité sociale. Les femmes n’y restent en général que quelques heures.

Premières Heures Au Monde – Maison de naissance. Une maison de naissance à Bourgoin-Jallieu. Nathalie Munsch, sage-femme, reçoit ses patientes en consultations de préparation à l’accouchement physiologique dans les salles de la maison de naissance, attenante à l’hôpital Pierre Oudot. Marion et Landry à la consultation du 8è mois, dans la chambre « Bulle ».
Bourgoin-Jallieu le 16 décembre 2021.

On estime que les accouchements en maisons de naissance ne représentent pas plus de 0,07 % des quelque 740 000 naissances annuelles françaises. «C’est une évolution très positive pour les sages-femmes, qui y exercent en autonomie, et pour les patientes. Longtemps, la seule façon d’envisager les naissances était uniquement centrée sur l’hôpital, c’est un peu moins le cas», se réjouit Sandrine Brame, trésorière du Conseil national de l’ordre des sages-femmes. Dans plusieurs régions françaises, des maïeuticiennes ont commencé à se fédérer en associations, en vue de décrocher une autorisation d’ouverture de maisons de naissance auprès de l’Agence régionale de santé.

Instaurer une relation de confiance

Alors que la profession s’est mobilisée depuis la rentrée pour une amélioration des conditions de travail et une meilleure reconnaissance, «les conditions d’exercice sont nettement plus positives en maisons de naissance, pas d’un point de vue financier : ça n’est pas plus rémunérateur, mais en termes de reconnaissance de leur savoir-faire», estime Adrien Gantois, président du Conseil national des sages-femmes. Tandis qu’à l’hôpital, une sage-femme peut être amenée à prendre en charge jusqu’à trois voire quatre femmes simultanément, chacune n’a en charge qu’une parturiente à la fois en maison de naissance. Pour les sages-femmes, de telles structures permettent d’instaurer une relation de confiance avec les parents, aussi bien avant le jour J, qu’après la naissance, grâce à un suivi personnalisé, qui permet de mieux prévenir la dépression postpartum. Les gynécologues, eux, semblent beaucoup moins enthousiastes : «C’est une mauvaise réponse, coûteuse et anecdotique, aux difficultés rencontrées par les maternités aujourd’hui», fustige Emmanuel Peigné, vice-président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens (Syngof), qui pointe le «risque d’une médecine à deux vitesses», et prône plutôt une revalorisation de la rémunération des sages-femmes et des investissements pour améliorer la qualité des soins en milieu hospitalier.

Serait-on à l’aube d’une petite révolution dans la manière d’envisager les naissances ? Pas si vite : les conditions d’accès à ces cocons sont strictement encadrées en France : en sont exclues les grossesses à risque de complication ou gémellaire, ainsi que les femmes présentant un utérus cicatriciel (par exemple, après une césarienne). Les maisons de naissance doivent par ailleurs signer une convention de partenariat avec l’hôpital duquel elles doivent obligatoirement être contiguës, pour pouvoir réorienter les femmes qui en auraient besoin. Pas de quoi, donc, régler les éventuelles difficultés d’accès aux soins engendrées par les fermetures de maternités de ces dernières années : leur nombre a été divisé par trois entre 1975 et 2018 en France métropolitaine, passant de 1 369 à 471, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Pour la juriste et militante féministe Marie-Hélène Lahaye (1), cette proximité imposée avec un établissement hospitalier est surtout le signe d’un «contrôle médical qui se perpétue sur le corps des femmes. Une écrasante majorité des gynécologues continuent d’entretenir la croyance que l’accouchement est dangereux. Or, le bilan de l’expérimentation menée en France a montré qu’accoucher en maison de naissance n’entraîne pas de souci majeur», souligne-t-elle.

Bain d’eau chaude

Publiée en 2019, une étude menée par un groupe de recherche du CNRS et de l’Inserm, basée sur l’examen des dossiers de 649 femmes prises en charge dans des maisons de naissance en 2018, a ainsi établi que ces structures offrent «un niveau de sécurité satisfaisant», avec des «complications maternelles peu, voire très peu fréquentes». Echantillon insuffisant pour être représentatif, rétorque le Syngof. Son vice-président, Emmanuel Peigné, insiste : «On ne peut pas tout prévoir : les accidents comme des hémorragies graves de la délivrance se produisent dans environ un cas sur mille, même quand rien ne le laissait présager.» «Les sages-femmes sont tout à fait formées au dépistage de pathologies éventuelles», rétorque Sandrine Brame. En 2018, 143 femmes prises en charge en maison de naissance ont été transférées dans les maternités partenaires, soit 22 %. Mais dans la plupart des cas (87 %), il ne s’agissait pas d’urgences : soit parce que le travail n’avançait pas, ou pour une prise en charge de la douleur. L’étude pointait aussi du doigt un «retard français en matière de périnatalité» : au Royaume-Uni, on compte par exemple 169 établissements de ce type, 150 aux Etats-Unis, et une centaine en Allemagne.

«En France, la grossesse est perçue comme à risque, jusqu’à preuve du contraire, analyse Anne Chantry, sage-femme et épidémiologiste qui a chapeauté l’étude de l’Inserm. Les maisons de naissance prônent plutôt un maintien dans le bas risque, loin de toute surmédicalisation, pour les grossesses qui n’en nécessitent pas, ce qui constitue un véritable changement de paradigme.» Autre enseignement d’importance de ces travaux : dans 94 % des cas, les femmes ont accouché autrement qu’allongées sur le dos, principalement à quatre pattes, accroupies ou à genoux. Dans environ la moitié des cas, elles n’ont eu qu’un voire aucun toucher vaginal, et ont pu utiliser un bain d’eau chaude pour soulager les douleurs. Pour Anne Chantry, ces données permettent certes d’évaluer la «qualité et la sécurité de la prise en charge dans ces établissements, mais aussi de questionner ce qui pourrait être transposé au système général. Ce n’est pas le lieu qui importe, mais plutôt ce qui s’y produit». Voilà peut-être l’unique point d’accord avec le syndicat des gynécologues, dont le vice-président s’accorde à dire que «l’écoute des femmes, notamment à travers l’établissement d’un projet de naissance, est fondamentale».

(1) Autrice du blog «Marie accouche là», et du livre Accouchement : les femmes méritent mieux (Editions Michalon, 2018).
Article paru dans le journal Libération du 3.01.22

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