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Vous avez dit Psychopraticien(ne) ? 

Cela ne nous aura pas échappé : davantage de plaques au bas des immeubles des centres-villes ou des quartiers résidentiels, voire dans les espaces collectifs de professionnels paramédicaux, annonçant la profession et l’exercice de psychopraticien ou le plus souvent de psychopraticienne. Emergence d’une nouvelle profession dans le domaine du soin psychologique et de la santé mentale, comme le laisserait penser le préfixe psycho, élément linguistique utilisé majoritairement dans le vocabulaire spécialisé et plus particulièrement dans les domaines de la santé et de la pathologie ?

Le titre de psychopraticien est souvent accompagné de précisions sur les méthodes ou les modèles d’interventions : psychoanalyse, analyse transactionnelle, hypnose thérapeutique, relaxation mindfulness, neurofeedback, méthode EMDR, développement personnel, psychogénéalogie, approche psychodynamique énergisante, soutien cognitivo-mental, thérapies systémiques, renforcement cognitivoaffectif … la liste est longue et même impossible à établir, tant les références sont diverses et renvoient parfois, derrière de pseudo modèles scientifiques et des expressions séduisantes et prometteuses, à des pratiques plutôt opaques ou brumeuses.

Les termes « psy », thérapie, psychanalyse – et leurs dérivés – jouent souvent avec les angles morts de la réglementation pour attirer une clientèle aujourd’hui sensible au marché du bien-être, de l’épanouissement mental, du développement et de l’accomplissement personnel, du coaching individuel.
Tout cela ne poserait pas de problème si un minimum de garanties et de transparences était apporté aux personnes qui les consultent, et notamment aux plus vulnérables d’entre elles. Cette perception est d’autant plus inquiète et suspicieuse chez les psychologues qui ont, depuis de nombreuses années, bataillé pour l’identification et la reconnaissance de la profession et l’obtention de la protection du titre par la loi de 1985 et le décret de 1990.

Le code de déontologie des psychologues (dernière version actualisée 2021) vient en conforter l’application par des conditions et recommandations d’exercice, même si, en l’absence d’une instance ordinale des psychologues, il n’a pas officiellement de valeur juridique.
Certains actes professionnels ou méthodes (comme par exemple l’évaluation psychologique du développement intellectuel) sont ainsi strictement réservés aux psychologues en titre, et le public consultant a des garanties concernant la formation et la déontologie du professionnel sollicité.

Il en est de même pour les psychothérapeutes dont l’usage du titre est réglementé par la loi (loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé) et impose également l’inscription des professionnels à un registre national des psychothérapeutes.

La profession de psychopraticien(ne) est-elle une profession définie et réglementée ?
Une profession réglementée voit son exercice subordonné à la possession d’un diplôme ou à une condition formelle de qualification. Les critères d’accès ou les conditions d’exercice sont ainsi encadrés par des obligations réglementaires exigées par l’État. Le titre de psychopraticien ne présentant aucune de ces conditions, est-il pour autant contestable et le public suffisamment informé et protégé de praticiens dont les activités pourraient être douteuses ou même dangereuses pour la santé des personnes ? C’est bien la
question.

Des organismes privés de formation continue se sont engouffrés dans la brèche à l’issue des lois protégeant les titres de psychologue et de psychothérapeute. L’accès aux professions de psychologue et psychothérapeute étant contraint et limité, le marché de la formation est porteur et rémunérateur : la demande conjointe d’exercice professionnel sans diplôme et d’attentes d’un public aspirant au bien-être est
en pleine croissance. Voici par exemple ce qu’on peut lire sur le site d’un des centres de formation privés2 : Le psychopraticien est par définition un professionnel pratiquant la psychothérapie, c’est-à-dire l’accompagnement de personnes dans une démarche d’introspection ou de soin psychique. Le psychopraticien est un titre libre, sans condition de diplôme, qui désigne un professionnel en psychothérapie.

Le terme psychopraticien désigne ceux qui exercent la psychothérapie mais ne peuvent pas faire usage du titre de psychothérapeute depuis que la loi sur le titre de psychothérapeute de 2004 …/… en a réservé l’attribution aux médecins, psychologues et psychanalystes.
L’accompagnement proposé par un psychopraticien est généralement en face à face, parfois en visioconférence ; beaucoup plus rarement le patient allongé dos au praticien (posture plus couramment attribuée à certaines approches de psychanalyse).
En d’autres termes, on contourne habilement la loi en créant artificiellement un pseudo-titre professionnel
qui fait illusion, avec fréquemment annonces de référencements imaginaires, évocation de fédérations professionnelles non officielles, mention d’appartenance à des instituts non reconnus ou validation de
diplômes sans certification des Pouvoirs publics.
On joue sur l’ambiguïté des mots et des concepts pour entretenir le leurre, à la limite de la tromperie. Ci dessous, dans l’exemple d’annonce pour vendre les formations, on y donne la définition du psychopraticien en usant des termes abusifs de professionnel de santé, thérapie, difficulté psychologique, le patient, le psy :

Le psychopraticien est un professionnel de santé qui utilise une méthode de thérapie reconnue afin de traiter d’une
difficulté psychologique ou relationnelle rencontrée par le patient qui le consulte.
Un autre centre va plus loin avec cette présentation du travail du psychopraticien en le désignant comme «psy » : Le rôle du psy est d’offrir à la personne un espace de parole et d’écoute.

Il ne s’agit pas de mettre en cause tous les professionnels qui utilisent ce titre sans valeur, mais de rendre compte des risques consécutifs à ce qu’on peut appeler un vrai tour de passe-passe. De nombreux psychopraticiens y sont sensibles et, apparemment, en toute bonne foi, cherchent à structurer cette nouvelle dénomination, à mieux en encadrer l’usage et à informer objectivement le public des limites de cette appellation professionnelle.

Dans ce sens, des fédérations, des syndicats et des groupes professionnels de psychopraticiens (liste en annexe) ont rédigé des recommandations de bonnes pratiques et des codes de déontologie, et évoquent la nécessité d’un minimum d’encadrement.

Des professionnels de l’accompagnement, de l’aide ou du coaching, très médiatisés, auteurs d’ouvrages à
succès dans le champ de la remédiation, de la rééducation, de la prévention ou de la prise en charge, se
définissent comme psychopraticien(ne) et donnent au titre une forme de légitimité et la reconnaissance
sociale. L’incontestable impact de leurs pratiques et de leurs interventions publiques le banalise et le
popularise, surtout quand leurs travaux sont récompensés par de hautes distinctions de la République.

Le site Doctolib de prises de rendez-vous médicales et paramédicales en ligne leur a ouvert désormais son
accès et l’identification des psychopraticiens comme professionnels exerçant dans le champ de la santé s’en
trouve indirectement validé et en quelque sorte légitimé.
Que pouvons-nous en conclure ? 

Pour les psychologues et les professions paramédicales réglementées, deux points de vue cohabitent : le premier consisterait à accompagner la structuration et l’identification des psychopraticien(ne)s et à permettre un contrôle et une réglementation des formations et des pratiques par les Pouvoirs publics ; le second à
envisager des pressions et des interdictions, à dénoncer l’usage litigieux du titre et à empêcher l’exercice détourné, non contrôlé et non conforme de la psychologie et de la psychothérapie. La réflexion et le débat sont ouverts.

 

 

Robert VOYAZOPOULOS – Psychologue de l’enfant et de l’adolescent, Directeur de l’APPEA, Association francophone de psychologie et de pathologie de l’enfant et de l’adolescent

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